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Ces deux mots sont-ils synonymes ? La Bible parle davantage de la miséricorde de Dieu que de sa pitié.

Miséricorde (en grec éléos, de là vient notre Kyrie eleison) est un mot-clé de la Révélation, plus lumineux que le mot pitié, qui peut connoter une condescendance plus ou moins humiliante.

À la limite la pitié ne mène à rien ; on peut s'apitoyer et passer son chemin, comme le prêtre et le lévite de la parabole. Tandis que la miséricorde console, relève, recrée : le bon Samaritain s'arrête et passe à l'action. Il « fait » miséricorde (Lc 10, 34-37). Il « prend à cœur la misère » comme le laisse entendre l'étymologie latine.

Dieu ne s'apitoie pas. Il a compassion. Et cela devient pour nous un appel : « Soyez compatissants, comme votre Père est compatissant » (Lc 6, 36). Si l'on en croit sainte Faustine Kowalska, « apôtre de la Miséricorde », c'est l'attribut le plus profond du Dieu vivant. Et le chapelet de la Miséricorde est une sorte de développement du Kyrie eleisonl : « Par sa douloureuse passion, sois miséricordieux pour nous et pour le monde entier ». Du coup on peut s'interroger sur la traduction courante du Kyrie, « Seigneur, prends pitié », qui efface la miséricorde.

On peut d'ailleurs remettre en question le principe même de la traduction. La liturgie romaine a gardé quelques traces de grec (Kyrie eleison), d'hébreu (Alléluia), d'araméen (Hosanna). Ces mots étranges et étrangers sont des signes discrets et précieux d'un héritage, d'une histoire et d'une géographie, d'une rencontre des cultures, d'un dialogue des Églises d'Orient et d'Occident, et aussi de nos racines juives. Un trésor à ne pas perdre !

Enfin, si par la force de l'habitude on continue de demander la pitié de Dieu plutôt que sa miséricorde, il serait temps de réparer la faute de français que depuis 50 ans on impose aux fidèles. En bon français l'appel à la pitié n'a et ne peut avoir que quatre formes :

  1. L'appel direct, sans verbe : « Pitié ! », comme dans le psaume 50 (51) : « Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! »

  2. La formule « avoir pitié de quelqu'un ». On la trouve dans la parabole du serviteur impitoyable : « Ne devais-tu pas avoir pitié de ton compagnon, comme j'ai eu pitié de toi » (Mt 18,33).

  3. La formule « prendre quelqu'un en pitié ». Ainsi, après les défaites d'Israël, « l'Éternel leur fit grâce et les prit en pitié » (2R 13, 23).

  4. Enfin « être pris de pitié pour quelqu'un ». C'est ainsi que l'on dit la compassion du père pour le fils prodigue (Lc 15, 20).

Dans toutes les Bibles en français l'aveugle de Jéricho crie « Aie pitié de moi ! » (éléison !). Seule la Bible liturgique traduit : « Prends pitié de moi ! » Ce mélange des formules 2 et 3 est un barbarisme auquel on s'est habitué, hélas ! Cette invocation n'est ni juste ni belle (Christ prends pitié oblige à prononcer 4 consonnes à la fois : STPR). Mais elle est passée du Missel dans la Bible et dans les cantiques. Donner la préférence à la miséricorde serait un progrès littéraire et spirituel.