resurrection filmC'est avec un mélange d'enthousiasme et d'appréhension que je suis allé voir ce film. Mettre en scène un événement au sens propre inimaginable, et faire du cinéma avec l'affirmation du Credo chrétien la plus étrange, et pour beaucoup la plus incroyable ? Il fallait oser le faire ! On imagine mal un réalisateur ou un producteur européens se lancer dans un projet aussi décalé ; mais les Américains n'ont ni notre autocensure ni notre laïcité maladive. On a donc envie d'applaudir à cette audace. Mais...

Mais aussitôt l'inquiétude vous saisit. Dans les quatre évangiles, les récits de Pâques sont tellement minimalistes : qu'est-ce que Hollywood va en faire ? Un tombeau vide, quelques rencontres fugitives avec cette Présence si familière et en même temps si déroutante : il n'y a pas de quoi faire un long métrage ! Il faudra donc un scénario, une intrigue, de l'action. Ce n'est ni du catéchisme ni un sermon. Il faut raconter une histoire. Va-t-elle traduire le mystère ? Ou le trahir ?

Des trahisons, il y en a quelques unes. Le personnage de Marie-Madeleine est trop ambigu. L'idée que les disciples sont poursuivis par les Romains est trop romanesque. Les paysages sont trop imaginaires. Là où l'on attendrait la douceur des collines boisées de Galilée on se perd dans des montagnes minérales et des chaos de rochers (les extérieurs ont été tournés à Malte, paraît-il). C'est hélas un défaut récurrent des films bibliques, à croire que les réalisateurs n'ont jamais mis les pieds en Terre sainte. Cela confère aux dernières séquences du film une grandiloquence qui avait été heureusement évitée jusque là. Quant au lac de Génésareth il ressemble à un bord de mer ; il ne manque que les parasols ! En revanche l'évocation de Jérusalem est modeste et plausible, à l'opposé du site trop grandiose que Mel Gibson avait choisi pour son film sur la Passion.

Pour le réalisateur comme pour le spectateur le grand défi est bien sûr de (se) représenter le Ressuscité. Nous avons pris l'habitude de parler des « apparitions » de Jésus. Mais c'est un vocabulaire trompeur et même infidèle au texte grec. Les évangélistes disent simplement que Jésus se fait voir, ou se manifeste. L'option du film, inédite me semble-t-il, est de ne recourir à aucun effet spécial, même pas un jeu de lumière ou un flou artistique. Les Onze retrouvent celui qu'ils ont connu. C'est ce que suggère le quatrième évangile : Jésus vint, et il se tint au milieu d'eux (Jn 20,19). Dans une récente méditation Fabrice Hadjadj souligne combien les récits de Pâques refusent tout merveilleux et comment le Ressuscité se manifeste dans la banalité du quotidien : un feu sur le rivage, du pain et du poisson. Un barbecue ! (La Résurrection, mode d'emploi, p. 86).

Et que penser de cet officier supérieur, Clavius, personnage central du film, homme de confiance de Pilate ? C'est dans le scénario une sorte de saint Paul. D'abord convaincu qu'il va retrouver le corps de l'homme qu'il a vu mourir et dont on dit qu'il est vivant, bien décidé à anéantir la secte qui s'en réclame, il se rapproche comme malgré lui du groupe des disciples et finit par partager leur expérience pascale. C'est tout à fait invraisemblable ! Le Christ s'est manifesté « aux témoins choisis d'avance » (Ac 10,40), ceux qu'il avait préparé de longue date pour qu'ils soient ses ambassadeurs ou ses envoyés (en grec ses apôtres). Saint Paul revendique d'être du nombre, conscient cependant d'être comme un « avorton », apôtre de justesse et par grâce insigne (1Co 15,8). Comment imaginer qu'un étranger, même pas touché par la foi d'Israël (contrairement aux « craignant Dieu », ces païens qui adoptaient le monothéisme juif), adorateur de Mars, le dieu de la guerre, ignorant tout des miracles et des enseignements de Jésus, devienne témoin de la première heure ?

Mais tant pis pour les puristes - dont je suis ! Malgré toutes mes objections, au fond, ce militaire, ce tribun me plaît. Joseph Fiennes lui donne présence et intériorité (on ne peut en dire autant, hélas, du personnage de Jésus). Clavius a un rôle essentiel dans le film et une place à part, médiane. D'un côté il y a les disciples : ils sont déjà établis dans une foi lumineuse, peut-être un peu naïve (c'est le sentiment que donne Barthélemy), en tout cas assez profonde pour affronter s'il le faut le martyre. En face il y a les opposants, inébranlables dans leur interprétation, on dirait aujourd'hui leur idéologie : si la réalité ne correspond pas à leur pensée, c'est la réalité qui a tort ! Jésus stigmatisait d'avance ce péché de l'intelligence dans la parabole du pauvre Lazare et de l'homme riche : « S'ils n'écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts, , ils ne seront pas convaincus » (Luc 16,31).

Entre les deux un homme droit, qui veut savoir. Cela pourrait être vous. Ou moi. Il ne faut pas lui raconter des histoires, il ne va pas croire n'importe qui ou n'importe quoi. Il s'interroge et il interroge ; c'est le principe même de l'enquête. Finalement il laissera la lumière se faire en lui, selon le conseil de Marie-Madeleine : « Ouvre ton cœur et regarde ».

Que le Christ lui apparaisse n'était pas nécessaire. Je regrette cette grosse ficelle du scénario. Trop de démonstration tue la démonstration. La véritable « apparition » offerte aux hommes de bonne volonté, hier comme aujourd'hui, c'est la communauté des disciples. Ces hommes et ces femmes recueillis, humbles, fraternels, courageux. Pas meilleurs que les autres, mais porteurs d'un secret qui les habite et les dépasse. Non pas des excités arrogants qui veulent vous endoctriner, mais des témoins qui ne peuvent ni taire ni cacher cette lumière du matin de Pâques qui s'est levée dans leur cœur. Prêts à mourir pour ce Jésus qu'ils appellent désormais le Seigneur et qu’ils aiment à la folie. Mais pour commencer prêts à vivre, ce qui est peut-être déjà un miracle.