jeunesOh la la ! Vous imaginez la levée de bouclier des bien-pensants (croyants ou incroyants) : il ne faut pas troubler « nos jeunes » avec ces histoires-là , d'ailleurs cela n'existe pas, c'est du folklore qui date du Moyen-âge, et puis c'est jouer avec le feu, on ne sait pas sur quoi cela peut déboucher...

J'ai eu la grande joie de passer une matinée avec des élèves du Lycée Bossuet, à Meaux. La demande d'une rencontre sur le thème de l'exorcisme venait de la classe de Prépa. La proposition a été reprise dans une classe de seconde (23 volontaires sur 25). Des internes de Terminale ont souhaité me rencontrer également dans le temps libre de l'après-midi. J'ai été touché par leur accueil bienveillant, leur attention soutenue, leurs questions pertinentes. J'ai constaté les lacunes de leur culture générale, dans le domaine de la religion, et en même temps leur intérêt pour l'étrange ou le paranormal. On sent que plusieurs ont été directement ou indirectement confrontés à des choses pas claires. à la limite ils en savent plus sur le Diable que sur Jésus Christ ! l-ileAvec les Prépa, nous avons commencé par regarder l'avant-dernière séquence du film L'île. L'amiral soviétique, qui ne sait comment sauver sa fille d'un mal inguérissable, l'accompagne jusqu'à un monastère perdu sur les rives de la Baltique. Il y a là -bas paraît-il un moine qui guérit les gens. Le père Anatoli lui dit : « Elle n'est pas malade. Elle est possédée. Par un démon que je connais bien. » Il est passé lui-même en effet par le désespoir et l'ombre de la mort. Et l'on assiste au plus juste exorcisme du cinéma, bien loin du grand guignol du premier et du dernier films du genre : l'Exorciste et le Rite. Le moine emmène la jeune femme à l'écart, sur son î le couverte de neige. Il se met en présence de Dieu avec quelques versets de psaumes et se tient par l'esprit au pied de la Croix. C'est-à -dire dans le pur amour. Voilà ce qui est insoutenable pour l'Ange révolté. Le visage de la femme, qui oscillait entre sourires inquiets et grimaces rebelles, se détend enfin. Quelque chose s'échappe, qui était en elle mais qui n'était pas elle.

Oui mais : est-ce que le Diable existe réellement ?

La question surgit, inévitablement. Attention aux réponses simplistes, un « oui » ou un « non » qui n'acceptent pas la discussion. A ma connaissance il y a au moins trois « Diables » !

Le Diable imaginaire : c'est l'alibi commode pour expliquer l'inexplicable et pour mettre sur le compte d'un autre mes déboires, mes échecs, mes déceptions. « Il y a quelqu'un qui me veut du mal et qui m'a ensorcelé. » Les exorcistes entendent souvent cet autodiagnostic. Je ne dis pas que la sorcellerie n'existe pas (voir plus loin). Mais il faut commencer par reconnaître que la vie est dure, que les épreuves existent, et qu'il vaut mieux se battre que de s'installer dans le statut de victime.

Le Diable symbolique : c'est la personnification du Mal auquel tout homme est confronté, aussi bien dans le monde que dans son propre cœur. Pour beaucoup de gens, y compris pour des prêtres, le Satan dont parle la Bible et auquel Jésus lui-même est confronté ne serait qu'une façon de parler, une mise en scène. Qu'il y ait dans la représentation des forces du mal une part symbolique, je le reconnais volontiers. D'ailleurs l'imagerie habituelle (le feu, le dragon, les cornes, les griffes etc.)  relève du symbole et même du mythe. Il serait naïf de les prendre au pied de la lettre. Mais le Mal se réduit-il à la simple addition des maux qui nous tourmentent ? La puissance du Mal qui se déploie dans l'histoire et ce qu'on pourrait appeler son orchestration peuvent me permettre d'en douter.

Le Diable réel : on peut discuter de l'interprétation des faits, mais il serait intellectuellement malhonnête de nier les faits. Les faits sont là. La sorcellerie existe et elle est efficace : on fait appel aux « esprits » et ils répondent. Le satanisme existe et il est efficace. Certes il faut y mettre le prix, et les démons font payer cher leur assistance. Il y a des « pactes » plus ou moins solennels dont il est très difficile de se libérer et des rites qui ne sont pas seulement folkloriques (messes noires autour du blasphème, messes rouges autour du sacrifice d'animaux, voire d'immolations d'enfants). Il y a aussi les expériences vécues par les saints ou les mystiques : le curé d'Ars voir son lit prendre feu tout seul, ou entend des coups violents frappés à sa porte, sans qu'il y ait trace de pas dans la neige ; un évêque venu prier près de Marthe Robin voit sur son cou la trace d'une strangulation par une main invisible... tentation

Le Diable dans les récits de l'Évangile :

Jésus de Nazareth est confronté dès le départ et jusqu'à la fin à celui qu'il appelle « l'Ennemi », celui qui sème de l'ivraie dans le champ de blé (Matthieu 13,28). Satan prétend que le monde lui appartient, ce que Jésus confirme en l'appelant le Prince de ce monde (Jean 12,31). Mais il ajoute qu'il va le jeter dehors (Exo, en grec). Dans le débat avec ses adversaires de Jérusalem, il les accuse d'être les fils du Diable (autrement dit engeance de serpents comme disait Jean-Baptiste) dont il fait le portrait : Vous êtes du diable, votre père,et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était tueur d'homme dès le commencement et n'était pas établi dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui : quand il profère le mensonge,  il parle de son propre fonds, parce qu'il est menteur et père du mensonge (Jean 8,44).

Le Diable dans la pratique de l'Église :

il y a peu d'enseignements du Magistère sur ce sujet (voir cependant une synthèse dans le Catéchisme de l'Église Catholique n° 391-395). C'est surtout dans l'expérience des saints et dans la liturgie de l'Église que l'on constate la réalité d'un combat proprement spirituel : Revêtez l'armure de Dieu, pour pouvoir résister aux manoeuvres du diable. Car ce n'est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes... Ayez toujours en main le bouclier de la Foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Mauvais (Éphésiens 6,11-17). L'existence de prières de libération et d'exorcisme atteste que les disciples du Christ ont toujours eu conscience d'être confrontés à un monde de ténèbres, irréductible à un ensemble de troubles physiologiques et/ou psychologiques (la contre-épreuve vérifiable est que la prière de l'exorcisme est sans effet sur une personne malade, et qu'inversement les médicaments sont sans effet sur un possédé).