noli me tangere

Tous les évangiles de Pâques, dans la diversité des témoignages, affirment que le corps du Christ a disparu : il n’est plus dans le tombeau, « il n’est pas ici » (Mc 16, 6). En même temps ils affirment que le Ressuscité est « là », avec son corps. Il peut se donner à voir et peut-être même à toucher. Luc insiste : Jésus n’est pas un fantôme, il est présent « en chair et en os » (Lc 24, 39). Quel est le statut de ce corps qui est à la fois là et pas là, tout proche et insaisissable ?

Noli me tangere ! C’est la réponse du Christ dans le jardin au geste de Marie Madeleine qui veut le vénérer ou le retenir. Faut-il comprendre Ne me touche pas, ou ne me touche plus ? La fresque de Fra Angelico au couvent saint Marc à Florence traduit merveilleusement cette incertitude, avec deux mains qui se frôlent sans se joindre. Dans le récit de saint Thomas, qui veut toucher les plaies du Seigneur, on retrouve la même incertitude. Le geste est peut-être esquissé, mais le récit passe directement à l’acte de foi de l’apôtre : Mon Seigneur et mon Dieu.

Loin de nous troubler, cette frontière invisible entre Lui et nous confirme plutôt notre foi et notre espérance. Notre foi : le Ressuscité n’est ni « enterré » quelque part dans ce monde provisoire, ni « parti » dans un autre monde, un ailleurs qui n’existe pas. Il est dans la gloire trinitaire, avec son corps, son âme et toute sa densité d’humanité, plus présent que jamais. Mais nous n’accédons à cette présence que par la foi (sauf grâce particulière), en attendant le jour où nous le verrons tel qu’il est, parce que nous lui serons semblables (1Jn 3, 2). Et notre espérance : sa résurrection est le gage de la nôtre, quand il transfigurera notre corps de misère en le conformant à son corps de gloire (Ph 3, 21).

Les gens de Corinthe avaient du mal à croire à la résurrection des morts et à un corps « glorieux ».  Pour répondre à leurs doutes, Saint Paul les renvoie à une expérience commune, celle de la semence qui devient une plante. Ce n’est qu’une parabole, elle vaut ce qu’elle vaut, mais elle souligne un point important du mystère : il s’agit d’une transformation (en grec une métamorphose), et cela suppose à la fois continuité et discontinuité. C’est le même être, mais dans un statut différent. Semé dans la mortalité, on ressuscite dans l’immortalité, semé dans l’indignité on ressuscite dans la gloire, semé dans la faiblesse on ressuscite dans la puissance, semé corps gouverné par l’âme, on ressuscite corps gouverné par l’Esprit (1Co 15, 42-44). L’expression de l’Apôtre : corps spirituel m’a longtemps parue contradictoire. Je vois mieux sa pertinence. La résurrection n’est pas une simple « survivance » du corps terrestre. Elle n’est pas non plus une désincarnation. Elle est une « assomption ».