pain eauEn quelques mots très simples, Jésus nous donne deux enseignements précieux. Le premier est énoncé comme une évidence : le jeûne fait partie de la vie des disciples. Jésus ne dit pas « Si tu jeûnes », il dit « Quand tu jeûnes ». Le jeûne n’est pas une pratique exceptionnelle, réservée à des gens bizarres ou un peu excessifs. C’est une composante de la vie chrétienne normale, comme l’aumône et la prière (Mt 6, 1-18).

Avouons que dans nos communautés chrétiennes cet usage a largement disparu de l’horizon. J’entends bien l’objection, déjà exprimée par les prophètes d’Israël : le jeûne qui me plait, dit le Seigneur, c’est faire tomber les chaînes injustes, partager ton pain avec celui qui a faim (Is 58, 6-7). Mais précisément le jeûne, comme privation volontaire de nourriture ou d’autre chose, est un exercice de détachement des choses et surtout de soi-même. Cette liberté intérieure est une condition nécessaire pour tout engagement altruiste et pour tout geste de partage.

Après le Concile, la règle du jeûne a été très allégée. Trop peut-être. Pour mémoire il y a deux jours de jeûne officiels : le mercredi des Cendres et le Vendredi Saint. Tous les vendredis de l’année et tous les jours de Carême (sauf les dimanches) sont temps de pénitence. Il revient aux Conférences épiscopales d’en préciser les modalités. En France : abstinence de viande les vendredis de carême et invitation à marquer tous les vendredis de l’année par un effort personnel d’ascèse, de prière ou de charité. Cependant on constate ici ou là que jeûner redevient d’actualité. D’ailleurs nos évêques n’ont pas hésité à nous y inviter quatre vendredis pendant le débat sur la loi de bioéthique. Là où une nouvelle ferveur spirituelle est donnée, on retrouve le sens du jeûne et sa grâce. Il est comme l’envers de la prière. La prière me remplit de la présence de Dieu, le jeûne ouvre en moi un espace. Mon âme a soif de Dieu : le jeûne réordonne mon désir, pour que mes envies ne fassent pas la loi. D’où sa puissance dans le combat spirituel, attestée par Jésus lui-même : il y a des démons qui ne sont expulsés que par le jeûne et la prière (Mc 9, 29).

Le second enseignement est plus inattendu : « Parfume-toi la tête ! » Le jeûne est une fête, le parfum en témoigne. C’est une expérience de liberté, de légèreté, de bénédiction. Ce n’est pas un mépris pour les nourritures terrestres, c’est le sacrifice de choses bonnes pour une chose meilleure. On se représente les fervents du jeûne comme des ascètes tristes, des mystiques torturés, des champions de l’endurance. Mais non. Ce sont des enfants émerveillés pour qui le temps s’arrête, des chercheurs de perles qui ont trouvé la plus belle, des disciples de celui qui s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté (2Co 8, 9).

Famille Chrétienne, 13 février 2021