neige branguier

Nous nous plaignons du fond sonore permanent que nous impose la vie moderne. Il y a le vacarme des machines et des moteurs. Il y a aussi la cacophonie des discours et des musiques qui nous sont déversés du matin au soir. Une exposition excessive aux stimuli extérieurs peut provoquer des troubles physiologiques et psychologiques. On parle moins du trouble spirituel qui en résulte: le dépérissement de la vie intérieure, jusqu’à son extinction pure et simple.

Ce n’est pas un danger qui nous menace, c’est un combat dans lequel nous sommes tous engagés. Combat personnel, mais aussi combat à l’échelle de la société, pour restaurer ou instaurer des espaces de silence, de liberté, de beauté. 

Je sais : il y a des silences mortels, lourds d’indifférence ou de mépris, de colère rentrée ou de désespoir ; il y a aussi des silences vides, une sorte d’absence ou de somnolence. Je veux parler du silence vivant, éveillé, fait d’attente et d’attention. Je pense à ces moments de grâce où il nous est donné d’être là, simplement. Pure présence. C’est une grâce à accueillir, oui, mais c’est aussi un travail intérieur à vivre. Il y a en effet un chemin de purification que saint Jean de la Croix nous a enseigné. Il faut passer par la nuit des sens et par la nuit de l’esprit. Notre sensibilité nous met en résonance avec les choses, les êtres, et même avec Dieu. C’est en quelque sorte le b.a.ba de l’amour. Mais nous sommes encore trop encombrés d’émotions et de tous les fantômes qui habitent notre mémoire ou notre imagination. Passer au niveau de l’esprit sera donc un progrès. Nous aurons un souci d’objectivité et de compréhension. Mais le risque, là encore, est d’enfermer les autres (et le Seigneur) dans la prison de nos pensées, alors que tout être est un mystère. On ne peut l’approcher qu’en tremblant. En silence. 

Le vrai silence est une forme de jeûne. Il fait taire le bruit intérieur des sensations et des pensées. Il écoute. Il est le temple où brûle la flamme de la présence. Ou au moins du désir de la présence. Il n’est pas la négation de la parole. Au contraire : pour paraphraser encore une fois saint Jean de la Croix, toute parole authentique naît du silence et s’achève dans le silence. Comment ne pas redire ici combien nous avons besoin de plages de silence dans nos liturgies parfois trop bavardes, pour ne pas dire bruyantes ? Le Missel romain prévoit un « silence sacré » après l’écoute de la Parole de Dieu et après la communion eucharistique. Ni le chantre ni l’organiste ne doivent se sentir obligés de meubler ce silence. Je me souviens d’un dimanche matin à Cracovie, cinq minutes avant la messe de 11 heures. Mille paroissiens sont là (ils n’arrivent pas en retard mais en avance), dans un silence unanime, de toute beauté, saisissant. À tomber à genoux.

Famille Chrétienne, 20 mars 2021