gregorien

L’été dernier, le Motu proprio de François, qui disait le contraire du Motu proprio de Benoît, a suscité émotions et réflexions. Le débat sur la liturgie était apaisé, mais il n’était pas terminé. Trop souvent, dans les médias comme dans les conversations amicales, on le réduit à une question de langue : « pour ou contre la messe en latin ».

En réalité, il s’agit du maintien, par exception à la règle commune, de la forme liturgique en usage avant le Concile Vatican II, ou de son abandon à court ou moyen terme. Concrètement, c’est le choix entre le missel promulgué par saint Pie V en 1570 et peu modifié depuis (sauf par Pie XII, qui a révisé la semaine sainte et restauré la veillée pascale) et le nouveau missel promulgué par Paul VI en 1969.

L’enjeu est vital : il s’agit de notre unité dans la prière, signe de notre unité dans la foi. Benoît XVI a fait le choix de la miséricorde et de la patience, espérant un rapprochement qui n’a pas vraiment eu lieu. François fait le choix de l’autorité et de l’urgence, visant un alignement qui n’aura pas lieu non plus. Cela dit, il serait sage de ne pas dramatiser. L’unité n’est pas l’uniformité. D’ailleurs nous avons des frères catholiques non latins qui célèbrent la même eucharistie mais pas la même liturgie : coptes, arméniens, chaldéens etc. (24 rites au total). Et quand un Français sur deux ne croit pas en Dieu, l’important n’est-il pas que Jésus soit célébré et annoncé, d’une manière ou d’une autre (Ph 1, 18) ?

Au milieu de ces discussions, j’ai aimé la question innocente d’un lecteur : pourquoi célèbre-t-on si rarement la messe actuelle en latin ? Rien ne s’y oppose, en effet, et surtout pas le Concile : l’usage de la langue latine sera conservé dans les rites latins, même si on peut accorder une plus grande place à la langue du pays ; en particulier, on veillera à ce que les fidèles puissent dire ou chanter ensemble en latin l’Ordinaire de la messe (Constitution sur la liturgie, N° 36 et 54). 

À mes yeux, c’est le rendez-vous manqué après Vatican II : tradition et nouveauté ont divorcé au lieu de s’épouser. La tradition est devenue fixiste et la nouveauté amnésique. Il n’est peut-être pas trop tard pour bien faire ! Beaucoup souhaitent une liturgie plus contemplative, qui touche l’âme et pas seulement la sensibilité. Il ne s’agit pas de cultiver une nostalgie ou une marginalité. Le latin liturgique est d’abord un patrimoine, à la fois culturel et spirituel, magnifié par le chant grégorien et par la polyphonie classique. C’est aussi une expérience concrète d’unité et d’universalité, à travers le temps et à travers l’espace. Chanter le Credo III avec des milliers de pèlerins est inoubliable. Merci à tous ceux qui empêchent et empêcheront cette voix de mourir. Laudate Dominum !

Famille Chrétienne, 23 octobre 2021