crucifixionAu chapitre 16 de saint Mathieu, d’un paragraphe à l’autre (d’un dimanche à l’autre) quel retournement ! Toi, Jésus, « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » c’est-à-dire le roi du monde, celui qui va chasser les ténèbres et apporter la paix – et voilà que tu dois partir pour Jérusalem pour souffrir et te faire tuer !

Et toi, Simon, tu as reçu la révélation du Père, tu es es devenu Simon Pierre, Simon Roc, car ta foi solide est à la base de l’Église du Christ – et voilà que tu deviens Simon Satan, car tu te mets en travers de la volonté de Dieu ; tu veux bien suivre le Maître, mais pas sur le chemin de la croix.

Il faut reconnaître qu’en quelques lignes, en quelques instants, le changement d’ambiance est total et brutal. On croyait l’heure du Messie arrivée, l’heure du triomphe de Dieu, et c’est l’heure de l’anéantissement du Fils. À la limite on comprend, peut-être même qu’on partage, la réaction de Simon.

Il faut un long compagnonnage avec Jésus, et aussi une conscience pas trop superficielle de la condition humaine, pour entrer peu à peu dans le mystère de la Rédemption. Déjà les prophètes percevaient le drame récurrent d’un Dieu qui appelle et d’un peuple qui se détourne. Pour Jérémie la parole de Dieu est un feu intérieur dévorant, et en même temps une sorte de cri dans le vide, car les cœurs se ferment. 

En Jésus le Christ, nous le croyons, Dieu s’est rendu présent à notre humanité, pour toujours. Mais cette présence n’opère pas par elle-même un changement du monde, encore moins le salut du monde. Cette présence se fait offrande. Le don est un acte, et le don de Dieu est un acte immense, infini : alors il se passe quelque chose, les cœurs endurcis se brisent, les chaînes tombent, la nuit s’illumine, les morts ressuscitent. 

Mais le monde étant ce qu’il est, le cœur humain (le mien, le vôtre) étant ce qu’il est, le don de Dieu est à la fois désiré et redouté, accueilli et refusé. L’offrande du Christ sera donc sous le signe de la croix. Et son sacrifice d’amour et d’action de grâce sera sous le signe du corps livré, du sang versé, du cœur transpercé. Ne perdons pas de vue que ce qui sauve ce n’est pas la souffrance, c’est l’amour ; Jésus n’est pas venu souffrir mais offrir – mais c’est vrai, il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. La croix du Christ et la passion des martyrs d’hier et d’aujourd’hui sont le plus pur et le plus haut amour, la plus précieuse de toutes les offrandes.

Ce qui est vrai du Maître est vrai du disciple. Après son dialogue un peu rude avec Simon, Jésus s’adresse à tous les disciples : si quelqu'un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même. Autrement dit qu’il ne soit plus propriétaire de lui-même, qu’il soit donné, que sa vie soit une offrande. Cela correspond très directement à l’appel de Paul aux Romains : par la tendresse de Dieu (et non par un faux dolorisme ou une contrainte pesante) présentez-lui votre corps (toute votre existence) en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu.

Voilà un bel appel et une belle promesse pour le temps de la rentrée. Que dans tous les moments de la journée, dans tous les lieux où nous vivons, avec toutes les personnes que nous rencontrons, nous puissions vivre cette logique eucharistique de l’offrande, célébrer cette adoration juste (logika latreïa) qui rend gloire à Dieu, témoignage au Christ, paix et joie à nos frères. Amen.