creche nuit 100He got the whole world in his hands... Il tient le monde dans ses mains ! Et le voici déposé cette nuit dans les mains d’une jeune fille de Galilée ! 

Pendant neuf mois il a été enveloppé de la tendresse de cette femme, il a fait sa demeure en elle, sous son cœur virginal. Oui, comme le diront les premiers pasteurs et pères de l’Eglise, celui que l’univers ne peut contenir a voulu être contenu dans le ventre d’une femme, ce lieu humble et magnifique qui est le premier berceau de tout être humain. Même si des apprentis sorciers – ou des sorciers tout court – veulent aujourd’hui abîmer ce sanctuaire de la vie et faire de la procréation non plus un événement mystique mais une transaction cynique.

Oui, le Dieu insaisissable, inconnaissable, la sainte Présence au cœur de toute chose et au-dessus de toute chose, le Créateur tout aimant et tout-puissant, plus immense que l’immensité de l’univers, plus beau que la beauté, plus lumineux que la lumière, dans son amour incompréhensible et sa miséricorde inimaginable, a voulu naître d’une femme. Il devenait ainsi – et pour toujours – notre frère en humanité, afin que nous puissions en retour être participants, partie prenante, de sa nature divine (comme dit saint Pierre, au début de sa deuxième lettre, 1, 4).

Voilà, frères et sœurs aimés de Dieu, ce qui est mis de nouveau sous nos yeux et dans nos cœurs en cette nuit de Noël : le grand mystère de l’Incarnation, cette décision éternelle de la Trinité sainte : Dieu a tellement aimé le monde qu’il nous a donné son Fils ; conçu de l’Esprit Saint, il est né de la Vierge Marie. Et comme rien de grand ni de grandiose ne serait à la hauteur de ce mystère, c’est dans l’humilité, la précarité, la vulnérabilité que le Christ, le Verbe fait chair, commence son chemin, son compagnonnage avec nous, un chemin qui va de la crèche à la croix, et qui se poursuit mystérieusement dans nos cœurs, entre nos trahisons honteuses et nos réveils pleins de ferveur !

Saint François d’Assise était fasciné par ce mystère de Noël. Après des années d’épreuves intérieures et extérieures, en raison en particulier du développement de l’Ordre, la paix revenue, il résolut de se retirer dans les ermitages de Greccio pour le temps de l’Avent et ainsi de se préparer à Noël. Le Seigneur local était un grand chrétien et un grand ami. François lui demanda de préparer un nouveau Bethléem : l’âne, le bœuf, la paille, la mangeoire. C’est ainsi qu’il inventa la crèche. Pour lui, ce n’était pas une mise en scène nostalgique ou folklorique, mais comme une icône, une invitation à la contemplation. « Je veux voir la pauvreté dans laquelle est né notre Sauveur. » L’enfant Jésus n’était pas représenté : il fallait le voir avec les yeux de la foi, avec le cœur. D’ailleurs un assistant vit dans la mangeoire un nouveau-né qui souriait. Quant à François il portait l’enfant invisible au creux de ses bras, l’enfant de Beeethléem disait-il, avec une voix émue et chevrotante, si bien que les fidèles disaient : on croit entendre un agneau !

Devant le crèche, face à l’Enfant-Dieu, nous sommes en face de la foi chrétienne, au cœur du Credo : un Dieu amoureux de l’humanité au point de l’épouser, une humanité si pauvre, grain de poussière dans l’univers, appelée pourtant à une vie transfigurée et éternisée dans l’amour divin. Devant la crèche, nous sommes devant une nouveauté absolue, que les prophètes d’Israël avaient pressentie, mais qu’aucune autre religion ou sagesse ne pouvait imaginer. Scandale pour les juifs, folie pour les païens, disait déjà saint Paul. Il ajouterait peut-être aujourd’hui : blasphème pour le Coran et avatar trop terre à terre pour les cercles éclairés du New Age. Ce que dit Jésus de l’Evangile est particulièrement vrai de Noël : mystère caché à des sages et à des savants, et révélé à des tout-petits. Dans la Bible, le mystère n’est pas quelque chose que Dieu nous cache, mais au contraire quelque chose qu’il nous révèle – qui bien sûr nous dépasse, mais en même temps nous touche et nous parle. Les intégristes de la laïcité l’ont bien compris. Je constate qu’ils expriment volontiers leur sympathie et leur reconnaissance à nos amis musulmans, à chacune de leurs fêtes. En revanche ils ont une sainte horreur de la crèche et ne nous souhaitent jamais un joyeux Noël. Le Dieu jupitérien qui est au Ciel leur fait moins peur que notre Dieu enfant que l’on peut rencontrer au coin de la rue ! D’ailleurs les supermarchés, les administrations, les médias, tout le monde ou presque censure le mot Noël. Ce sont les fêtes, les fêtes d’on ne sait pas quoi, d’on ne sait pas qui, peu importe, pourvu qu’on dépense des sous ! Et qu’un peu d’euphorie nous fasse oublier ne serait-ce qu’un moment les drames de notre époque, ces drames que faute d’intelligence, d’amour et de courage nous sommes incapables de résoudre.

Oui, c’est bien chez nous que Dieu s’invite cette nuit. Humblement, discrètement, il frappe à notre porte. Il ne crie pas, il murmure. « Je connais tes questions, connais-tu mes réponses ? Je connais tes péchés, connais-tu mes pardons ? Je connais la fatigue de ton corps, la lassitude de ton âme, connais-tu ma grâce, la grâce de l’espérance, la grâce des renaissances ? Je t’attendais. Tu entendras le chant des anges. Mais j’ai besoin de toi pour qu’il devienne le chant de la terre… »

Je voudrais ne rien ajouter au chant des anges. En deux phrases il dit tout le message, l’appel, la promesse de Noël. Gloire à Dieu ! Oui, notre première vocation est de chanter Dieu, le louer, le remercier, l’admirer, l’adorer, enfin et surtout l’aimer. L’aimer si fort que quelque chose se passe dans le monde et que d’autres cœurs tressaillent et que le désert commence à fleurir. Et paix sur terre ! Gloire à Dieu et paix sur terre : les deux sont inséparables. Oui, Qu’une paix surnaturelle fasse son chemin en nous et au milieu de nous, une paix capable de sécher les larmes et de faire taire les haines, une paix non pas rêvée mais laborieuse, douloureuse parfois mais victorieuse.